Étiquettes

, , , , , , , , , ,

Vous-êtes vous déjà demandés quel est ce château qui figure juste sous le titre de ce blog ?

Il s’agit du St John’s College de Cambridge (Cambridgeshire, Angleterre). Ce choix n’est pas un hasard. Il est en effet un symbole d’intemporalité, de tradition, de grande culture et d’intelligence. Tel le frontispice d’un temple grec, il orne ce blog, et rappelle à chaque instant l’importance des valeurs dont il est l’incarnation.

© Le Paradigme de l'Elegance - St John's College, vu sous un autre angle

Mais, plus que le St John’s College, c’est la ville de Cambridge toute entière qui en est le véritable symbole. Ayant eu la chance d’y résider un mois il y a quelques temps, j’ai découvert un incroyable paradis, un splendide Valhalla, une Arcadie bienheureuse, que dis-je ! une véritable New Utopia, dans la lignée de celle de Thomas More. C’est une bourgade d’irréductibles intellectuels hors du temps, résistants encore et toujours face à ces envahisseurs que sont la mode et le panurgisme.

Cambridge signifie littéralement « pont sur la Came » : cette dernière est la rivière qui serpente en son sein. Si la ville préexistait, elle ne commença à devenir une cité universitaire qu’à partir de 1209, date à laquelle des étudiants fuyant Oxford s’y établirent. Elle se dota ensuite de son tout premier College, Peterhouse, en 1284. Puis, les constructions d’établissements se multiplièrent : Corpus Christi College en 1352, King’s College en 1441, St John’s College en 1511, Trinity College en 1546, Fitzwilliam en 1869, sont les plus connus. Enfin, Robinson College est le plus récent, et date de 1977. Ah ! Pensez simplement que les esprits les plus brillants de leur temps étudièrent dans ces bâtiments de multiples fois centenaires !

© Le Paradigme de l'Elegance - Corpus Christi College

© Le Paradigme de l'Elegance - Corpus Christi College

© Le Paradigme de l'Elegance - L'imposante chapelle de King's College

© Le Paradigme de l'Elegance - Christ College

© Le Paradigme de l'Elegance - Christ College

Voici quelques exemples de savants ayant étudié à Cambridge. Le physicien mythique qu’est Sir Isaac Newton passa par Trinity College. La légende raconte que c’est dans la cour de ce dernier, sous un pommier, qu’il découvrit le principe d’attraction terrestre et de pesanteur. Par ailleurs, il fit construire un pont en bois sur la Came, dit ‘le pont des mathématiciens’, qu’il fit tenir sans chevilles. Ses élèves, sidérés par cette prouesse, auraient démonté le pont afin de trouver le secret de son équilibre. Mais ils ne découvrirent jamais la fameuse astuce, et durent le remonter à grand renfort de clous ! Et le Roi Edward VII, ce fameux élégant à l’origine du déboutonnage du dernier bouton de la veste et du gilet, ainsi que du revers au pantalon, étudia également à Trinity College. Quant à King’s College, il peut se vanter d’avoir accueilli le très célèbre économiste John Maynard Keynes, ainsi que son professeur Arthur Cecil Pigou. Keynes développa des théories qui placent la demande au centre de l’économie : celles-ci influencent encore aujourd’hui les décisions de dirigeants du monde entier. Il représenta également la Grande-Bretagne à la conférence de Bretton Woods, en 1944, qui détermina l’ordre économique mondial d’après-guerre, par la création du FMI et du système monétaire international. St John’s College, pour sa part, compte pas moins de neuf prix Nobel parmi ses anciens élèves. Alfred Marshall, autre célèbre économiste, y étudia également : il fut à l’origine des principes de microéconomie moderne. Les Colleges mis à part, on peut également apercevoir des lieux célèbres, tels que le Cavendish Laboratory : ouvert en 1874, cinq prix Nobel ont fleuri en son sein, et, surtout, c’est là que la structure de l’ADN fut découverte en 1953.

Comme vous pouvez le constater, se promener dans les rues de Cambridge est bien loin d’être anodin. Le poids de l’histoire et du génie de ces incroyables savants est perceptible à chaque pas, à chaque rue, à chaque bâtiment, donnant un formidable sentiment d’humilité. Et c’est la ville toute entière qui se structure autour des étudiants, des professeurs et des chercheurs, sans compter que la majorité des édifices publics comme privés sont possédés par St John’s et Trinity College. Cette omniprésence, loin d’être oppressante, est galvanisante et grisante. C’est un inévitable vertige intellectuel.

© Le Paradigme de l'Elegance - Sidney Street, centre de Cambridge

Dire que les Colleges sont extrêmement imprégnés par les traditions serait un doux euphémisme. Chacun possède son blason : cravates, nœuds papillons, parapluies et écharpes à leurs couleurs sont distribués par quelques échoppes agréées du centre ville. Les étudiants les arborent fièrement. Ils revendiquent ainsi leur appartenance à tel ou tel College, que ce soit en ville ou lors de manifestations sportives, comme les Bumps Races -régates d’aviron- sur la Came. Tous les soirs durant l’année scolaire, chaque College donne la possibilité à ses étudiants et professeurs de dîner à l’extérieur, ou dans leur réfectoire. Dans ce dernier, de nombreux et délicieux mets y sont servis. De plus, le repas ressemble à s’y méprendre à un banquet que Platon aurait sûrement jalousé : c’est en effet l’occasion de se retrouver entre grands esprits, et de débattre de philosophie, d’économie, ou de science. La participation au souper -appelé Formal Diner– exige le port du gown. C’est le fameux habit académique, sorte de cape noire dont les décorations indiquent le rang : étudiant, diplômé, docteur, etc . Cette robe est également arborée lors d’un défilé annuel dans les rues de Cambridge, à l’occasion de la remise des diplômes.

© Le Paradigme de l'Elegance - Homme au boating blazer, avant une régate

© Le Paradigme de l'Elegance - Aviron sur la Came

© Le Paradigme de l'Elegance - Ede & Ravenscroft, fournit les gowns aux étudiants. La boutique dispose également d'un joli choix d'habits, jaquettes, costumes, et vestes en tweed

© Le Paradigme de l'Elegance - Salle commune d'un des bâtiments du Fitzwilliam College

Cambridge est assurément hors du temps, comme victime d’un trou noir qui l’aurait happée, la laissant bien loin du consumérisme de masse, et de la dogmatique maxime selon laquelle le temps serait de l’argent. C’est un endroit où il fait bon vivre, et où la distinction entre ville et campagne prend enfin tout son sens pour l’observateur hexagonal. En effet, l’urbanisation française s’est déroulée différemment de celle de la Grande-Bretagne : si Paris occupe une position macrocéphale, le rôle de Londres est moins décisif. De nombreuses villes de taille moyenne ont fleuri un peu partout sur le territoire britannique. De fait, à l’exception du centre d’un poignée de très grandes agglomérations, la frontière entre ville et campagne est absolument floue. Cambridge ne fait pas exception. La nature a littéralement conquis la bourgade : de grands parcs verdoyants et très bien entretenus bordent à la fois les rues et les cours des Colleges, ce qui n’est bien entendu pas pour déplaire. Quant aux logements, ce sont énormément de petites maisonnées accolées les unes aux autres, et ayant chacune leur jardin dans l’arrière-cour. Comptez également que des vaches vont et viennent à leur guise dans les champs et certains parcs.

Souvent évoquée sur ce blog de manière symbolique, la frontière entre ville et campagne permet de justifier le port d’habits sport et de souliers bruns, ainsi que certaines différences fondamentales entre les styles anglais et italien. C’est donc avec un immense bonheur que l’on y enfile sa veste et sa casquette en tweed, ainsi que ses derbies chasse.

© Le Paradigme de l'Elegance - Bords de Came

La ville et la campagne environnante ne laissent pas pour autant l’élégant dans un profond ennui. Outre les flâneries dans les parcs, il est possible de se coiffer d’un canotier, et d’aller voguer sur la Came sur de petites barques à fond plat. Appelées punts, elle sont propulsées à la force des bras par une perche, et permettent de naviguer à l’envie sur la rivière. Grantchester, sympathique petite bourgade au sud de Cambridge et célèbre pour ses scones, peut être ralliée en une heure ou deux, tout en profitant des magnifiques saules pleureurs bordant les berges. S’arrêter ensuite sur ces dernières afin de déjeuner constitue une solution fort agréable. Sur d’autres parties de la Came, d’ailleurs, il est probable de croiser des régates d’aviron.

© Le Paradigme de l'Elegance - Punts amarrées

© Le Paradigme de l'Elegance - Une rue de Grantchester

D’autres distractions sont également possibles. Le vélo, tout d’abord, qui n’est pas une à proprement parler : c’est tout simplement le moyen de locomotion d’à peu près tous les habitants de Cambridge, même pour les plus âgés ! Toute la région est aménagée afin de faciliter le déplacement en vélo. Et, en fin de semaine au centre ville, il est presque impossible de trouver un emplacement de libre pour y attacher sa bicyclette, afin d’aller faire quelques emplettes. Mais cet inconvénient ne représentent absolument rien si on les compare à la joie d’explorer la campagne environnante sur son destrier d’acier. De retour en ville, il est possible de regarder des matchs de Cricket sur le grand parc de Parker’s Piece. C’est sur ce même parc, en hiver, qu’une patinoire géante est installée.

© Le Paradigme de l'Elegance - Match de Cricket, Parker's Piece

Les occupations intellectuelles ne sont pas non plus en reste à Cambridge. Il est possible de visiter de nombreux musées, de taille modeste, certes, mais très bien fournis et intelligemment menés. Les Colleges sont également ouverts aux visiteurs pendant la majeure partie de l’année sauf, évidemment, durant la période des examens : toujours impeccables, ce sont de véritables sanctuaires, dont le faste n’a d’égal que le génie de leurs hôtes. Enfin, s’il existe une bibliothèque municipale, elle est un peu décevante car d’architecture moderne. En effet, la majorité des belles et anciennes bibliothèques sont privées, et intégrées aux Colleges.

© Le Paradigme de l'Elegance - St John's College

S’il était possible de distiller cette ville, nous en retirerions la quintessence de l’élégance. Cette dernière est d’ailleurs un état d’esprit et une attitude, bien plus qu’une simple mise, s’il était bien nécessaire de le préciser. Cambridge est un lieu où subsistent de nombreuses traditions ancestrales, entretenues par les intellectuels les plus brillants de leur temps. C’est la promesse d’une vie rêvée pour tout élégant : calme, intellectuelle, ponctuée de promenades sur les pavés de King’s Parade tout comme sur les chemins bordant la Came, dans un cadre idyllique et bucolique. Est-ce donc cela que l’on appelle le conservatisme éclairé ? Quoi qu’il en soit, je fais cet idéal mien.