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Gustav Temple

Connaissez-vous les Chaps ?

Pour ceux pour qui ce n’est pas le cas -et même pour les autres-, je vais vous présenter ce curieux mouvement typiquement britannique, crée de toutes pièces dans les années 1990 par Gustav Temple et Vic Darkwood. Tout d’abord, intéressons-nous au mot Chap. Ce dernier signifie toute simplement gars, ou bon gars (même si le mouvement est largement ouvert aux femmes, les Chapettes), et fut très utilisé au cours des années 1930 et 1940. Logiquement, ses fondateurs sont ouvertement opposés à une grande majorité de ce qui, selon eux, caractérise l’époque actuelle : société de consommation, sur-glorification du travail, vulgarité, conformisme, cupidité. Ils regrettent un temps révolu où l’homme était au centre de la société, et où l’on prenait le temps de vivre. Pour cela, ils veulent réinvestir le fait de fumer la pipe, les bonnes manières et la courtoisie, le port du tweed, du chapeau, de la moustache, la dégustation de cocktails et d’Ale. Plus largement, ils veulent mener une Révolution par le tweed au nom de ces valeurs.

Cependant, ne donner ces seules descriptions des Chaps serait éminemment réducteur, car ce serait occulter la réelle teneur de cette Révolution. Le mouvement Chap est, comme mentionné plus haut, typiquement britannique, et pas uniquement parce qu’il prône le port du tweed. Il l’est du fait de l’humour : occasionnellement grotesque, quelquefois sarcastique, parfois ironique, souvent absurde, constamment décalé et délirant. Un humour absolument Bristish, digne descendant de celui des Monty Python. Un humour à prendre au troisième degré, donc. Et c’est bien là le but des Chaps : faire fi des conventions, et promouvoir ce qu’ils nomment eux-mêmes l’Anarcho-Dandysme, et le Plaisantisme, qui consistent à agir pour les valeurs défendues par le mouvement. Pour se faire, messieurs Temple et Darkwood éditent un magazine bi-mensuel depuis fin 1999, et ont également écrit un livre, Le Manifeste Chap, savoir-vivre Révolutionnaire pour gentleman moderne.

The Chap Magazine

Dans cet ouvrage, et toujours avec la même verve décalée, ils décrivent tout d’abord les différents types de gentleman, les moyens de faire sa toilette, de se coiffer de manière élégante, de faire de la gymnastique sans trop d’efforts, voire même de cuisiner avec sa presse à pantalon (!). Mais, surtout, il s’agit de mener à bien cette fameuse Révolution par le tweed, grâce à des moyens subversifs qualifiés de Plaisantistes, afin de provoquer une certaine anarchie dans la société actuelle. Ainsi, ils y décrivent par exemple le nécessaire de l’Anarcho-Dandy. Des ciseaux à ongles afin de pouvoir, au choix, se faire une manucure, se tailler la moustache, ou couper les fils des baladeurs. En hiver, emporter avec soi un sèche-cheveux, et s’en servir pour que la lunette soit toute chaude pour vos collègues afin qu’ils l’ambinent, sapant de ce fait les fondements de l’entreprise et de l’autorité hiérarchique. Les deux auteurs proposent également des schémas fournis pour savoir à quels endroits d’un téléphone portable il faut frapper lorsque sa sonnerie est ennuyante, ou comment découper la forme d’une pipe dans un logo Nike. Ils préconisent également de lire de la poésie aux personnes sortant des clubs de gym, ou de donner du tabac à chiquer dans les lieux publics à ceux qui sont manifestement fébriles.

Crédit : Le Manifeste Chap.

Un joyeux programme en perspective, que les fondateurs et de nombreux fidèles mettre en œuvre avec entrain. Par exemple, en 2004, au musée Victoria et Albert de Londres, ils escaladèrent une œuvre d’art contemporaine tout en récitant un poème de John Keats glorifiant une urne de Grèce antique. Également, ils se rendirent chez McDonald’s et y demandèrent des rognons avec du champagne, puis filèrent à Picadilly Circus pour y distribuer du thé, et offrir aux touristes un Trilby en échange de leur casquette. Ou encore, et plus sérieusement, ils offrent régulièrement de vieux vêtements en tweed dans des quartiers défavorisés.

Mais l’évènement emblématique du Chapisme reste l’organisation de l’Olympiade des Chaps. Tout aussi délurée que le reste, elle se tient tous les ans en Juillet, au Bedford Square de Londres. Une pipe géante fait office de flamme Olympique. Une fois allumée, les hostilités peuvent commencer, mais toujours dans un excellent esprit digne de la trêve des Olympiades antiques. Au programme, en vrac : surf sur planche à repasser, jouter en chevauchant un vélo avec un parapluie en lieu et place du cheval et de la lance, se comporter en goujat avec sa compagne pour voir qui écopera de la plus belle baffe, préparer le meilleur Martini dry, et bien d’autres encore. Voici une vidéo de l’édition de 2009 (crédits : ITN News) (sur le même sujet, cette vidéo de BBC News), ainsi que des photos, qui seront plus éloquentes que les mots :

Crédits : The Chap. Cérémonie d'ouverture.

Crédits : The Chap. Duel de moustaches.

Crédits : The Chap. La confection de Martini dry.

Crédits : BBC News. Les gagnants, leurs lots, la cravate d'or, d'argent ou de bronze, et leur médaille en cocombre.

Bien que fort curieux, le Chapisme est devenu un mouvement d’envergure, capable de rassembler au Royaume-Uni. Il est cependant intrinsèquement britannique, de par son humour décalé bien évidemment, mais aussi car il semblerait qu’une plus grande partie de leur société soit encline à être nostalgique des valeurs défendues par les Chaps. C’est donc un modèle qui serait difficilement exportable, car peu compatible culturellement avec nombre de pays, au premier desquels la France. Faut-il cependant s’en plaindre ? Je ne pense pas. Cela permet ainsi qu’il ne soit pas dilué, et qu’il ne perde pas sa spécificité qui fait son identité. En revanche, il mérite d’être davantage connu hors de ses frontières. Entendez frontières physique, mais aussi culturelles : il vaut la peine de ne pas s’arrêter au premier degré de leur humour pour en tirer pleinement le sens. Il peut bien évidemment servir de moyen de réflexion et d’expression de l’élégance. C’est un mouvement dont les valeurs fondamentales sont, au final, celles que nous défendons. Il nous rappelle aussi l’importance d’être bon vivant.

Long live the Chaps !